L’âge de la majorité électorale a, en France, beaucoup varié. Ces changements historiques expriment un puissant enjeu politique, au-delà du seuil d’âge en soi. De fait, la confiance accordée ou non à la jeunesse témoigne d’un certain rapport au temps et à l’avenir, soit une question politique et sociale fondamentale.

Il n’est donc pas étonnant qu’historiquement, l’âge de la majorité ait subi une forte régression entre la Révolution et la Restauration. La loi républicaine du 20 septembre 1792 l’avait établi à 21 ans ; il est porté à 30 ans par la Charte de 1814. Le pouvoir plus libéral de Louis-Philippe, sous la monarchie de Juillet, l’abaisse quant à lui à 25 ans dans sa Charte modifiée. Et la IIe République avance dans le même sens, en le fixant à 21 ans – tout en instaurant le suffrage universel masculin. À la progression des libertés politiques est donc associé un plus grand crédit porté à la légitimité politique des jeunes.

Mais il faut ensuite attendre un siècle avant que de nouveaux changements s’opèrent en la matière. La Seconde Guerre mondiale transforme en profondeur le regard porté sur la jeunesse. Les résistants étaient en effet, en majorité, des jeunes – pour des raisons tout à la fois sociales, familiales et politiques. Il faut leur en savoir gré. Si gaullistes et communistes, au sortir de la guerre, s’accordent sur la nécessité d’abaisser l’âge de la majorité, les premiers se montrent finalement méfiants : ce serait à leurs yeux risquer de faire le jeu du PCF, « parti des fusillés » dont on estime la popularité plus grande au sein des jeunes générations. Tout au long des années 1950, le groupe communiste à l’Assemblée nationale dépose plusieurs propositions de loi tendant à abaisser ce seuil d’âge, sans succès. Entre 1964 et 1968, le député gaulliste Robert-André Vivien demeure pour sa part très isolé dans sa famille politique quand il s’y attelle lui aussi.

Évidemment, les « événements » de mai-juin 1968 ouvrent une nouvelle configuration politique. Si la grève générale est bel et bien intergénérationnelle, les jeunes, qu’il s’agisse d’étudiants, de lycéens, d’ouvriers ou d’employés, en sont les fers de lance. La jeunesse fait preuve, par son engagement, d’une conscience politique aiguisée. Tous les commentateurs de l’époque s’accordent pour reconnaître une maturité générale plus précoce, liée au prolongement de la scolarité et à une meilleure connaissance du monde grâce aux médias. L’anthropologue Margaret Mead forge la notion de « culture cofigurative » : les parents apprennent désormais autant de leurs enfants, et en même temps. S’il s’agit donc d’octroyer de nouveaux droits politiques aux jeunes, c’est aussi que cette jeunesse, contestataire, protestataire, voire parfois révolutionnaire, inquiète. Mieux vaut donc la voir dotée d’un bulletin de vote qu’armée d’un pavé. C’est d’ailleurs l’un des arguments que Jean Lecanuet, alors garde des Sceaux, met en avant pour convaincre en 1974 des sénateurs réticents : les réformes réalisées à temps, leur déclare-t-il en substance, sont le meilleur moyen d’éviter les révolutions. À cette date, en effet, la réforme n’est pas gagnée. Les huit propositions de loi déposées à l’Assemblée élue en juin 1968 sont toutes restées lettre morte. Le principe de l’abaissement a été acté par la Commission des lois en novembre 1972, mais n’a pas été validé par le Sénat. Le président Georges Pompidou s’y montre défavorable, ce qui explique, en ce début des années 1970, le réel retard de la France sur ce sujet par rapport aussi bien aux pays européens qu’aux États-Unis et à l’Union soviétique : partout la majorité y est fixée à 18 ou 19 ans.

En France, son abaissement à 18 ans est, on le sait, l’une des grandes réformes adoptées sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, à peine élu – la loi date du 5 juillet 1974. Peut-on pour autant la porter à son seul crédit ? Certes, le nouveau président entend afficher sa modernité – et sa propre jeunesse (relative). La réforme s’inscrit dans un train de mesures libérales, parmi lesquelles l’autre avancée phare est la légalisation de l’avortement. Il faut toutefois souligner qu’en 1974, tous les candidats à l’élection présidentielle avaient fait figurer cet abaissement dans leur programme. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe en avait d’ailleurs fait la recommandation officielle à la France deux ans plus tôt. Le volontarisme de « VGE » en est nuancé d’autant. 

Depuis cette période, de nombreuses mobilisations de jeunes, lycéens, étudiants, ont émaillé avec régularité l’histoire politique récente. Elles ont à chaque fois démontré leur réflexion politique, la force de leur engagement et leur détermination. Le droit de vote à 16 ans existe à Cuba, au Brésil et au Nicaragua, ainsi qu’au Pakistan, mais également en Autriche et en Allemagne. La maturité politique dont font preuve aujourd’hui les jeunes mobilisés, dans les manifestations, les universités et les lycées, et sur les places occupées, atteste sa pleine légitimité. 

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