Il y a, on le sait, plusieurs jeunesses en France. L’une est insérée et dispose de la formation et des codes qui l’incluent parmi les gagnants de la mondialisation. Elle le doit souvent à des parents qui disposent du capital culturel et financier pour préparer leurs enfants à ces défis : maîtrise des langues étrangères à coups de séjours linguistiques ; identification des bonnes écoles et des stratégies d’inscription dans ces établissements ; territorialisation adéquate dans les villes-monde, là où il y a de la mobilité, de l’emploi et de la culture ; transferts financiers précoces ou coups de pouce pour acquérir un premier logement… Cette jeunesse-là trouvera demain sa place dans la société et une place de qualité. Elle n’a pas particulièrement besoin de droits politiques supplémentaires pour être reconnue et elle le sait.

Et il y a une autre jeunesse à qui l’on a ôté le bien le plus précieux, le seul que l’on ait véritablement à 15 ou 20 ans : une perspective d’avenir – et la dose de légèreté qui en découle. 

Cette jeunesse-là se vit dans la certitude d’un no future. Elle est peu formée, peu instruite, reléguée territorialement et socialement, amère, en colère ou résignée. Elle alimente les bataillons de ce stock de 2 millions de jeunes âgés de moins de 30 ans qui ne sont actuellement ni dans la vie active, ni dans le système éducatif, ni en formation. Une bombe à retardement dont la charge s’accroît chaque année.

Cette jeunesse-là est massivement au chômage ou en CDD. L’explosion depuis trente ans du coût du logement lui a rendu inaccessible cet idéal d’émancipation, notamment dans les grands centres urbains. Elle vit par conséquent plus longtemps chez ses parents, par obligation et non par choix. Ou en colocation, mais pas forcément celle, sympathique et trompeuse, de L’Auberge espagnole

Les transports enfin sont pour elle un enjeu clé : difficulté d’obtention et cherté du permis de conduire, cherté des transports en commun. 

Enfin, elle n’a pas de véritable représentation politique. Certes, il y a pour elle à l’œuvre des mécanismes de redistribution et d’insertion mais, globalement, les choix faits par la collectivité favorisent bien plus les seniors et les retraités que la jeunesse française. C’est logique compte tenu du poids grandissant des seniors dans la société française, mais aussi et surtout de leur surreprésentation massive parmi ceux qui votent. 

Cette jeunesse-là nourrit les bataillons de l’ébranlement démocratique qui traverse la société française. Aujourd’hui, 70 % de nos concitoyens estiment que « le régime démocratique est irremplaçable » et qu’il s’agit du « meilleur système possible », mais 30 % – près d’un Français sur trois ! – sont d’un avis contraire et affirment qu’il « existe d’autres régimes politiques aussi bons que la démocratie ». Chez les moins de 35 ans, cette opinion monte à 37 % et frôle même les 50 % chez les moins de 35 ans précarisés.

Accorder le droit de vote à 16 ans ne résoudrait pas les problèmes de cette jeunesse-là – l’enjeu est d’abord économique – et il faudrait encore qu’elle s’empare de ce droit pour le rendre effectif, mais cela aurait l’immense mérite d’envoyer un signe à une population qui se vit comme non reconnue et reléguée. Un tel symbole serait inclusif et contribuerait au déverrouillage de la société.

La mesure modifierait-elle le rapport de force électoral ? Marginalement. En effet, les 18-24 ans votent un peu plus à gauche que l’ensemble de la population (35 % contre 32 %) mais aujourd’hui un peu plus à droite qu’à gauche (38 % contre 35 %) et très légèrement plus FN que la moyenne. Deux classes d’âges supplémentaires et sans doute peu enclines à participer ne changeraient donc pas grand-chose.  

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