L’agence Frontex a été créée pour assister les États membres de l’Union européenne (UE) dans leur lutte contre l’immigration irrégulière. Bien que son budget, comme les moyens matériels mis à sa disposition, aient connu une croissance exponentielle en douze ans, force est de constater qu’elle a failli à sa tâche, puisque le nombre de franchissements irréguliers des frontières européennes n’a jamais diminué depuis sa création en 2004. C’est même le contraire : Frontex estime qu’un million de migrants auraient pénétré illégalement en Europe en 2015, chiffre record depuis qu’elle existe – cela représente plus que le total cumulé des six années précédentes. 

Cette incapacité à protéger les frontières européennes contre l’im-migration irrégulière met en évidence l’impuissance de Frontex à anticiper les déplacements de population en direction de l’Europe. Pourtant, l’« analyse de risques » est une de ses missions phares, pour laquelle elle déploie des agents chargés de repérer les nouvelles routes migratoires. C’est à barrer ces routes que sont destinées les opérations terrestres et maritimes qu’elle organise dans la foulée. Mais alors, comment l’agence a-t-elle pu ne pas prévoir la « crise migratoire » de 2015, qui a semblé prendre de court les dirigeants européens ? Ignorait-elle qu’après quatre années de conflit, des dizaines de -milliers de Syriens – qui jusque-là avaient réussi à trouver une terre -d’accueil au Liban, en Jordanie ou en Turquie, pays dont les capacités sont aujourd’hui largement dépassées – opteraient pour la périlleuse traversée de la Méditerranée, faute -d’obtenir des visas pour les États membres de l’UE ? Elle est bien la seule. Depuis 2011, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) comme les ONG alertaient sur le risque d’un exode massif depuis la Syrie, exhortant les pays européens à ouvrir leurs portes à ces réfugiés plutôt qu’à les pousser, au risque de leur vie, sur des rafiots de fortune, dans les eaux mêmes où les navires de Frontex patrouillent. 

C’est que le sauvetage en mer n’est pas non plus le fort de Frontex. Lorsque -l’Italie, fin 2014, a mis un terme à l’opération Mare Nostrum, qui en un an avait permis de sauver du naufrage 150 000 personnes, pour passer le relais à Frontex avec l’opération Triton, la différence s’est vite fait sentir : l’année 2015 a été la plus meurtrière du siècle pour les migrants en Méditerranée. Rien d’étonnant : comme l’a rappelé son directeur après la mort par noyade de 800 personnes au mois d’avril 2015, la recherche et le sauvetage ne font pas partie du mandat confié à Frontex. Elle n’est pas là pour veiller, mais pour surveiller.

Défaillante quand il s’agit de sauver des vies humaines, dangereuse lorsqu’elle dissuade de potentiels réfugiés d’accéder à une terre d’asile en Europe, régulièrement mise en cause par les ONG pour des violations des droits commises lors de ses interventions et, surtout, incapable d’endiguer significativement l’immigration irrégulière, à quoi sert vraiment Frontex ? Avec ses troupes de gardes-frontières, ses radars, caméras thermiques et sous--marines, ses vedettes rapides, ses hélicoptères, ses avions et ses drones, l’agence pourrait bien être, avant tout, le symbole d’une Europe qui confond politique (d’immigration) et police (des frontières) et qui, aveugle à la réalité migratoire qui l’entoure et quel qu’en soit le coût humain et financier, -prétend se barricader derrière une forteresse qui restera toujours poreuse. 

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