C’est sûr, nous allons mourir, il n’est nul espoir de salut
   Et tandis que je parle, mon visage est tout inondé.
Le flot étouffera ce souffle et, priant vainement,
   J’absorberai l’eau qui doit me détruire.
Mais de mon exil seul mon épouse dévouée s’afflige :
   De mes malheurs elle ne connaît et ne déplore que celui-là.
Elle ignore mon corps ballotté sur la mer immense,
   Ignore l’action du vent, et l’imminence de la mort.
Oh ! j’ai bien fait de ne pas accepter qu’elle embarque avec moi
   Pour ne pas avoir à endurer, misère ! une mort double !
Mais si je meurs maintenant, puisqu’elle est à l’abri du danger,
   Je suis sûr de survivre dans cette moitié de moi-même.
Hélas ! comme les nuées scintillent d’une flamme vive !
   Quel fracas retentit de la voûte du ciel !
Les flots frappent les flancs de bois avec autant de force
   Qu’un énorme boulet de baliste qui secoue les remparts.
Cette vague qui vient, cette vague s’élève au-dessus des autres :
   Elle suit la neuvième et précède la onzième.
Ce n’est pas la mort que je crains, mais cette misérable façon de mourir ;
   Supprimez le naufrage, la mort sera pour moi un cadeau.
Que l’on tombe sous les coups du destin ou des armes,
   C’est quelque chose de s’étendre en mourant sur la terre ferme,
Faire ses recommandations aux siens, espérer un tombeau
   Et ne pas être la proie des poissons de la mer.

 

Extrait des Tristes, livre I, élégie ii, dans Ovide, Lettres d’amour, lettres d’exil, traduit du latin par Danièle Robert© Actes Sud, 2006

 

Ovide occupe une place à part dans l’histoire de la littérature de l’exil. Parce que les odyssées méditerranéennes d’Ulysse et d’Énée sont mythologiques, tandis qu’Ovide, lui, chante ses propres infortunes. L’auteur des Métamorphoses est né en 43 av. J.-C. à une centaine de kilomètres de Rome. Alors qu’il est au sommet de sa gloire, en l’an 8, il est relégué par l’empereur Auguste à Tomes (aujourd’hui Constanţa), dans l’actuelle Roumanie. La raison officielle de cette disgrâce : l’immoralité de L’Art d’aimer, pourtant publié dix ans plus tôt. Pour le génie mondain, la mort semble -parfois préférable à la vie dans ces contrées barbares. Du moins, voilà ce qu’il raconte dans les lettres des Tristes et les Lettres du Pont, des chefs-d’œuvre de l’élégie. Car, au-delà de plaintes parfois complaisantes, il y a ce geste pathétique et glorieux d’un écrivain interdit qui envoie ses livres en visite dans son pays. Et qui, peu à peu, prend peur de perdre jusqu’à sa propre langue. Les vers ci-dessus sont extraits du début de l’ouvrage. Quand l’Antiquité permet aux Occidentaux que nous sommes, habitués des long-courriers, de ressentir les dangers d’une traversée. Et l’éloignement du chez-soi ; et de l’épouse aimée. Nombre de migrants aujourd’hui partent, comme Ovide, à cause des déraisons d’un souverain absolu. À l’Europe sans doute de faire en sorte que la mer ne leur soit pas un tombeau. Qui sait, peut-être que parmi eux un ancien dandy, qu’on disait frivole avant la tourmente, trouvera sur nos rivages de quoi renouveler son génie. 

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